Aujourd’hui est un jour de congé. Je n’ai pas besoin de remplir le moindre contrat. Du moins, je l’aurai bien voulu. Il me faut bien un peu d’argent pour gagner ma vie. J’appelle jour de congé lorsque personne ne m’a contacté pour que je remplisse une tâche qui leur est trop ingrate. Être Hunter est plus difficile que prévu. Enfin, prévu. Je n’avais pas voulu cet avenir qui s’offrait à moi. En m’échappant de mon foyer, je pensais trouver un petit travail qui me permettrait de ne pas trop approcher les humains. Hunter était parfait ; il me permet de me fondre dans le décor sans m’y mêler. Je dois repérer la cible, l’éloigner et la tuer.
Chaque Hunter a sa propre façon de faire. Pour ma part, j’étudie ma future victime deux jours, avant de sauter sur la première occasion de le tuer. Je me sers de leurre. Quant à mes vêtements, j’effraie souvent, et je suis loin d’être discret. Du moins, lorsque l’on me repère. Tout d’abord, ma chevelure immaculée ne m’aide pas. Ensuite, le masque que je porte est encore loin d’être le plus invisible ; marquant un grand sourire, je ne fais que révéler le mauvais côté des gens. A mon passage, lorsque je le porte, leurs regards se tournent vers moi. Ne dit-on pas que les yeux sont le miroir de l’âme ? Ce dicton est d’autant plus vrai dans ces instants. Ils me toisent de leurs regards horrifiés, malveillants, voire remplis d’une fascination presque morbide.
Je hais l’homme. Non. Je me hais. Je ne peux approcher les autres. Alors que je continuais à marcher dans l’ombre de la lumière, mes yeux glissèrent vers mes mains. Un instant, je m’arrête, me contentant de les observer. Elles tremblent. Je suis encore trop proche de la foule. Il faut que j’apprenne à me contrôler. Un soupir s’échappa de mes lèvres, dissimulées derrière mon masque. Je baisse la tête un moment, cherchant une solution alors que mon regard tombe sur une plaque d’égout. Une grimace déforma mon visage. Au fond, cela avait-il eu du bon que je sois né dans une famille assez aisée ? Certes, ce n’était pas de la noblesse. Je ne détestais pas vivre chez mes parents. Mais maintenant que je dois me débrouiller seul, il faut que j’aille au-delà de certaines choses qui m’insupportent ; la saleté.
Je m’approche de la plaque, et m’y abaisse, la saisissant presque du bout des doigts. Quelle horreur, manqué-je de dire haut et fort. Alors que je pousse le morceau de bronze, ou je ne sais quel autre matériau, un relent venant tout droit de ce lieu vient me piquer les yeux, me prenant à la gorge. Je me sens soudainement pris de nausées. Mais je ne peux m'arrêter maintenant. Non. Je dois continuer. Je n'ai pas envie de me mêler à la foule. Je ne me sens pas bien. Il ne faut pas que cela reprenne le dessus. J’en ai assez. L’espace d’un instant, je ferme les yeux, prenant une profonde inspiration, surmontant l’odeur nauséabonde. Il faut que je me calme. Je finirai bien par guérir. Je n’ai pas envie d’être pris pour cible par un Hunter ennemi. Déjà que ceux-ci ont du mal à s’entendre au sujet de leurs territoires.
Je saute dans le trou étroit, avant d’atterrir dans les égouts. Sentant l’eau dans mes pieds, je comprends que mes chaussures ne me couvriront rien. Nouvelle grimace. Je passe mes mains dans mes poches, n’ayant aucune envie de toucher ce qui m’entoure. Même la chambre que je loue est dans un meilleur état que cela. Heureusement d’ailleurs. Je tente de me convaincre sur la pureté de l’endroit, marchant sous la ville. Le bruit régulier du clapotis de l’eau est étrangement agréable. Ce lieu reste sombre, et peu accueillant mais il me sauvait souvent de situations dangereuses. Pas face aux démons que je combats, mais face à l’humanité. Je suis loin d’être agoraphobe. J’ai seulement appris à vivre avec la solitude.
En ce moment, même moi je ne parviens pas à comprendre qui je suis vraiment… Tu n’es pas important pour les autres, il faut le devenir, fit une voix dans ma tête. Je fronce les sourcils, mais tente de l’ignorer. Il ne faut pas que je réponde à ses piques. La solitude te pèse. La solitude te tue. Elle te ronge, et tu ne t’en rends pas compte, continue-t-elle alors que je ferme les yeux pour essayer de me concentrer sur le bruit que fait mes pas dans l’eau crasseuse. Tu as bien fait de partir de chez toi. Tes parents sont heureux sans toi. Tu es une erreur humaine. Ils te détestent pour ce que tu es. Pour qui tu es. Les entends-tu te renier ? J’écarquilles les yeux en entendant comme les voix de mes parents, nier avoir eu un fils un jour. Ou bien, annoncer à mes voisins ma mort, prouvant ainsi qu’il n’y a plus aucun lien avec moi.
Mon cœur rate un battement. Si je suis parti, c’était pour les protéger. C’est comme ça qu’ils me remercient ? Non. Non, non, non. Je secoue vivement la tête, tentant de me convaincre que tout cela était faux. Comment pourrai-je les entendre ici ? Ne lutte pas, ouvre toi. Regarde tes bras, susurra la voix dans ma tête comme au creux de mon oreille. Les yeux exorbités, je sors mes mains de mes poches, relevant mes manches pour observer mes bras. Pourquoi est-ce que je lui obéis ? Tch. Et d’où est-ce qu’elle me donne des ordres ? Il n’y a rien.
Alors que j’allais les remettre dans mes poches, en tournant mes avant-bras vers moi, je découvre quelque chose d’intriguant. Une légère entaille. Fronçant les sourcils, j’arrête mon mouvement pour l’observer de plus près. Au même moment, la coupure semble s’allonger alors que du sang en jaillit. D’abord quelques gouttes, puis, peu à peu, mes bras se recouvrent de ce liquide écarlate que je hais tant chez moi. J’écarquille les yeux, me reculant par réflexe, comme si cela allait changer quelque chose. Je devrai y être habitué maintenant, non ? Pourquoi cela me surprend encore ? Je sang goutte alors dans l’eau salie par les déchets humains. De ma poche, j’en sors un tissu que je pose sur un de mes bras, tentant vainement d’arrêter l’écoulement. Ma respiration s’accélère alors que les larmes me montent aux yeux. Mes jambes se dérobent sous mon poids ; le sang ne s’arrête pas. L’entaille est profonde. Il faut recoudre.
Au moment de chercher du fil et une aiguille, comme si j’allais trouver cela près de moi, je m’arrête. Mes mains se plaquent contre mes oreilles alors que je hurle :
« Arrête ça !»
A cet instant précis, tout sembla se distorde avant de redevenir net. Mon regard coule vers mes bras ; ils sont intacts. Aucune égratignure. Je soupire. J’ai eu une nouvelle hallucination. Et pas qu’auditive, mais visuelle aussi. Elle semblait si réaliste … J’ai cru que tout cela m’arrivait vraiment.
A genoux dans les égouts, je tente de reprendre mes esprits, calmant ma respiration. Je déteste ça. Je me hais. Je ne veux plus vivre un truc pareil.