« Ma face cachée, je ne t'ai jamais laissé la voir. Je la garde enfermer mais je ne peux pas la contrôler. Alors, reste loin de moi, la bête est moche. »
Qu'est-ce que tu pouvais être naïve. Tu vivais ton enfance comme la plus merveilleuse de toute. En un claquement de doigts, tu avais tout ce que tu voulais. On avait juste à entendre un de tes sanglots que tout le monde rappliquait. Tu avais le monde à tes pieds, et toi, la petite fille bien élevée et bienveillante, tu n'en profitais pas. Tu ne voyais pas tout ce que tu pouvais avoir. Tu refusais le plus merveilleux des cadeaux pour l'offrir à des personnes qui n'en avaient pas les moyens. On aurait pu croire que tu avais le cœur sur la main, mais c'était plus pour soulager ta conscience. Tu voulais tellement atteindre les portes du paradis. Tu voulais tellement atteindre cet endroit que l'on te qualifiait de merveilleux. En vérité, tu en avais tellement envie de ce cadeau. Ta générosité te perdra ma pauvre.
Et elle t'a perdu. Tu t'es enfin rendu compte que tu étais enfermée. Que tu avais le monde à tes pieds, mais que tu ne pouvais pas en profiter à cause de ce paradis qui trônait au-dessus de ta tête. Ton éducation avait été exemplaire pour une jeune fille de ton rang. On t'avait appris tout ce que tu avais à savoir. Tu savais comment te comporter en société. Tu pouvais avoir le monde, mais on te disait quoi faire et comment le faire. Tu n'étais pas la maîtresse de tes décisions. Tu devais suivre ce que les autres appelaient le protocole. Tu avais un titre et tu devais le respecter. Quitte à te priver de certaines choses. Et tu étais tellement proche du fait de tout laisser tomber, tes désirs, tes envies. Mais lui, il était là, et il a tout fait changer.
Tu étais tellement amoureuse de ce jeune homme. Tu le voyais souvent en cachette. Personne ne devait savoir qui tu fréquentais, personne ne devais connaître cet homme avant que tu ne l'aies décidé. Une jeune fille de ton rang avec le fils du cuisinier. Que diraient tes parents ? Cependant, tu avais envie de croire en cette humanité. Tu avais envie de croire que Dieu te pardonnera de ne pas respecter la hiérarchie. Tu avais espéré qu'ils comprendraient. Et ils ont bien compris. Ils ont bien compris qu'ils ne pouvaient pas laisser leur fille aux mains du fils du cuisinier. Il fallait vous séparer. Ils les ont alors renvoyés. Mais ça ne t'a pas arrêté de le voir. Tu sortais de chez-toi pour aller le voir dans un village près de Londres. Mais qu'est-ce que tu croyais ? Que tu allais t'en sortir ? Ma pauvre petite idiote. Ils l'ont retrouvé ton fils de cuisinier. Ils l'ont retrouvé et torturé devant tes yeux. Ils auraient pu s'arrêter là. Et, alors que tu criais tout en les suppliants d'arrêter, sa tête roula jusqu'à tes pieds. Le meurtrier de ton amour perdu, ton propre père.
C'est à ce moment que je suis apparue. C'est à ce moment que je suis arrivée dans ta vie. Ta colère était tellement forte, tellement puissante. Tu ne pouvais pas pardonner. Tu ne pouvais plus pardonner. La nuit, tu rêvais des pires tortures. Tu voulais entendre leurs cris, tu voulais les détruire comme ils t'ont détruit. Pour eux, la vie continuait. Ils avaient repris le cours de leur existence alors que tu mourrais intérieurement. Tu as fait appel à moi. Mais tu avais tellement peur de moi. Tu avais tellement peur qu'on me découvre, que l'on t'enferme pour atténuer tes envies de meurtre. Tu ne pouvais supporter cette idée, mais tu savais que j'étais là, comme la bête qui attend sous le lit des enfants avant de les dévorer pendant leur sommeil.
« Je sens la rage et je ne peux la contenir. »
Le vilain croquemitaine était arrivé et tu ne pouvais rien y changer. Plus tu grandissais, plus le fauve voulait sortir de sa cage. Tu savais que tu ne pouvais pas me cacher plus longtemps. Tu savais que je finirais par sortir à tes dépens. Tu le savais, mais tu ne montrais rien. C'était tellement facile pour toi de faire genre de rien. Tu voulais continuer ta petite vie tranquille, mais tu n'y arriverais pas. Tu sentais la colère et la rage monter en toi.
Et ce jour fatidique arriva enfin. Ce jour que j'avais tellement attendu. Tu t'étais complètement métamorphosée, me laissant sortir peu à peu, moi, ta rage, ta haine. Tu me laissais enfin sortir. Tu avais mal, tellement mal. Et il fallait qu'ils payent pour toute cette souffrance. Je me souviendrais toujours de cet événement déclencheur qui m'a laissé apparaître. Ta mère t'apportait une bonne nouvelle et te demandait dans le salon. Tu descendais lentement. Tu ne voulais pas savoir ce qui t'attendait. Tu avais peur de devoir me laisser sortir. Je me souviens encore de tes tremblements à chacun de tes pas. Mais tu savais que tu n'avais pas le choix, que tu devais obéir. Et tu vis cet inconnu que l'on te présenta tout de suite comme ton futur fiancé. Tu ne pouvais pas laisser faire ça.
Je sortis la première fois cette nuit-là. Tu me laissais le contrôle total de ton corps. Je sortis de ta chambre avant de me rendre dans celle de l'inconnu, poignard à la main. Je me souviens de son cri de douleur lorsque je lui transperçais la poitrine. J'avais senti que, toi aussi, tu avais aimé ça. Tu aimais, tout comme moi, la chaleur de ce sang sur tes mains alors que son corps se refroidissait. Je léchais chacun de tes doigts, goûtant à ce sang. Que c'était bon la mort. Et je l'avais sur les mains. Je touchais la mort de mes mains.
Tes parents arrivèrent dans la chambre et me virent. Ils avaient peur, mais ils te juraient de te protéger. Le lendemain matin, on brûlait le corps et on avait pris soin d'imiter, à la perfection, une lettre écrite indiquant que le jeune homme avait repris le chemin du retour. C'était un tissu de mensonges, mais on te protégeait comme on le pouvait.
Je ne me calmais pas pour autant. Je profitais, à ta place, de tout ce que tu n'avais pas osé faire. Je profitais de tout ce que tu pouvais avoir en un claquement de doigts. Tu me laissais faire tellement ta rage était puissante. Mais il fallait en finir avec tous les habitants de ton manoir. Il fallait que j'en finisse. Ils nous avaient détruits, ils devaient le payer à leur tour. Ils devaient mourir.
Je me souviendrais toujours de cette fameuse nuit. Tel Jésus-Christ, j'avais cloué les mains de tes parents sur le bord de leur lit. J'entendais encore le cri de souffrance alors que je tuais le personnel. Tu essayais de revenir, mais c'était trop tard. Tu avais perdu Lindsay. Tu avais trop mal pour tenter quoi que ce soit face à moi. Tu me laissais, moi, ta colère, agir. J'étais devenue ta maîtresse. Et ce fut le moment de torturer ta mère devant ton père qui me suppliait, qui me criait d'arrêter. C'est fou comment la situation avait été similaire quelques années plus tôt. Et après avoir décapité ta mère, je tuais ton père.
« Je dois avouer que je me sens comme un monstre ! »
Cette nuit là, j'étais retournée dans ta chambre couverte de sang. Je riais aux éclats. J'étais fière de ce que j'avais fait. Et, tout d'un coup, tout en riant, tu plantais le poignard dans ton cœur. Tu voulais mourir tout en laissant ta colère s'exprimer. Tu avais laissé ta colère prendre le dessus et tu savais que, avec tous ces meurtres, que tu n'irais pas à ce paradis que tu avais tant désiré. Ses portes te resteront fermées. Tu avais fait sortir le monstre. Tu m'avais fait sortir.
« Mademoiselle. Il faut vous réveillez. »J'ouvris les yeux assez difficilement. Je détestais que l'on me réveille le matin, mais je n'avais pas le choix. J'avais un programme chargé, moi, la pauvre fille qui avait survécu au meurtre de toute une bâtisse. Moi, la pauvre fille qui était devenue un démon.